Les Etrangers

LES ETRANGERS : CHRONIQUE CHANTEE D’UNE JEUNESSE INSATIABLE !

Quand j’écoute les chansons des Etrangers, je me sens ému et enthousiasmé par la lucidité des textes de ces jeunes gens âgés de 17 ans, la vivacité des mélodies, la précision des voix et des instruments. Aujourd’hui, on dirait d’eux qu’ils étaient « d’une grande maturité », ce qui ne veut absolument rien dire d’ailleurs.

Nous sommes en 1963. Dix-huit ans après l’Armistice, Charles de Gaulle est le Président de la République. C’est l’année du traité signé avec le Chancelier Adenauer, du traité de Moscou, du fameux discours de Kennedy à Berlin, quelques mois avant son assassinat. Entre-temps, Martin Luther King et des milliers d’Américains marchent dans Washington pour les droits civiques et contre la ségrégation raciale : I have a dream… Edith Piaf et Jean Cocteau rejoignent les étoiles. En musique, les Rolling Stones sortent leur premier disque. C’est le tout début de la Beatlemania. Jacques Brel chante Les Bonbons et La Fanette, Jean Ferrat Nuit et Brouillard, Marie Laforêt célèbre Les vendanges de l’amour.

Yves de Gaillande, Nils Lardé et Jean Humenry, alias Les Etrangers, se rencontrent au lycée, à Tarbes. La guitare, le banjo, l’harmonica leur procurent le plaisir de jouer ensemble, comme tous les jeunes musiciens de leur âge. Ils sont influencés par les mélanges musicaux de cette époque entre deux eaux, entre insouciance, avidité de vivre et prise de conscience des maux de ce monde. Ils écoutent Woody Guthrie, Bob Dylan, Peter Paul and Mary, Joan Baez. Jacques Brel, Guy Béart et Hugues Aufray (qui, cette même année, chante Santiano) marquent sans doute leur désir de chanter en Français. Ils reprendront d’ailleurs N’y pense plus tout est bien, alchimie entre la musique de Dylan et l’adaptation de Pierre Delanoë et Aufray.

Les chansons des Etrangers sont vraiment les témoins de ce temps. La générosité, l’amitié, l’ouverture aux autres, l’amour, les droits de l’homme en sont les principaux thèmes. La musicalité des trois 45 tours et du 33 tours enregistrés par le groupe montre leur niveau d’exigence, de travail et pourtant le plaisir de chanter, de jouer ensemble nous est directement transmis. Repérés et soutenus par Sud Radio et Claude Barrière, le créateur des productions Olympia du Sud-Ouest, Les Etrangers seront même engagés pour faire les premières parties de grands artistes de la chanson : Jacques Brel (excusez du peu !), Marcel Amont, les Compagnons de la chanson.

Si vous passez par ici, installez-vous près du feu de camp. Il y aura toujours un café bien chaud et du pain pour vous accueillir. Écoutez la guitare, la contrebasse, le banjo, laissez-vous porter par les voix. Les mots vous tiendront au chaud et vos yeux resteront émerveillés au rythme du crépitement des flammes. C’est exactement ce que les chansons des Etrangers font revivre en nous !

C’EST L’HISTOIRE DES TROIS PETITS COPAINS.

Ils habitent Tarbes, fréquentent le même lycée et partagent, sans le savoir, l’amour de la musique.

Le premier petit copain, Jean, l’initiateur, joue déjà de la guitare avec un groupe. Il connaît l’instrument, le possède avec un coup de médiator péremptoire. Il compose musique, paroles. Il sait exactement ce qu’il veut.

Le deuxième petit copain, Yves, le professeur, ne laisse rien au hasard. Il faut travailler la musique encore et encore jusqu’à la perfection. Il trouve toutes les subtilités, la petite note qui va bien, c’est un super musicien.

Le troisième petit copain, Nils, l’amuseur. Là, à part chanter, il ne connaît pas grand chose à la musique. Le sens du rythme ça va encore mais pour le reste il faut tout apprendre.

C’est leurs influences musicales qui les a réunis : Brassens, Brel, Bob Dylan, Graeme Allwright, Hugues Aufray, Peter, Paul et Mary et bien d’autres.

C’est le début d’une grande aventure.

Ils ont vécu des moments extraordinaires, les répétitions, les concerts, les tournées, les enregistrements, les passages à la télé.
Ils ont fait la connaissance de personnes qui ont marqué leur vie : Jacques Brel, Johnny Hallyday, Enrico Macias, Adamo et bien d’autres.
Ils ont aussi connu la peur, l’angoisse, la révolte, la solitude...

Grande aventure d’accord mais surtout une amitié qui dure depuis plus de 50 ans. Ça n’a pas de prix, pas de mots pour l’expliquer mais beaucoup de fierté.

Au fait, les trois petits copains ont soufflé leurs 70 bougies.

AH, LES ETRANGERS !

Pourquoi ne pas l’avouer quand on arrive au bout du chemin: un grand bonheur furtif et une grande frustration.
Le trio, c’était 3 beaux garçons très différents et très complémentaires:
Jean, personnage à 2 facettes: le poète introverti, auteur compositeur en herbe prometteur, mais aussi le sens inné des affaires et de la gestion des contrats.
Nils: la joie de vivre, les réparties désopilantes, l’enthousiasme communicatif qui font de lui un élément indispensable sur scène.
Entre les deux, j’essaie de m’insérer avec mon sérieux un peu froid et mon perfectionnisme.
Les tournées s’enchaînent, les succès , parfois les échecs, mais au bout l’apprentissage de la liberté.

Et puis arrive le jour fatidique…
Notre manager de l’époque débarque chez mes parents :
« A ce stade, il faut prendre une décision: la musique ou les études. »
Je viens d’être reçu au concours d’entrée à l’école nationale vétérinaire de Toulouse.
Je sens peser sur moi le regard lourd de mes parents.
Mon père susurre : « Yves choisis ! »
Mais je connais leur préférence, les sacrifices consentis pour mes études; je bascule de leur côté en leur faisant croire que c’est MON choix.
Je réalise à cet instant pourquoi dans certaines familles, certains se retrouvaient prêtres ou militaires sans avoir compris comment !

La suite ne présente guère d’intérêt: la « réussite sociale », un couple, deux enfants, une maison, mais toujours en arrière-plan, au plus profond de moi, une petite flamme de regret qui brûle, qui brûle et ne s’éteint jamais .

En tout cas, merci Jean, merci Nils, c’étaient les plus belles années de ma vie…

MA PREMIERE POTION MAGIQUE.

Coup de chance… je redoublais ma classe de seconde. Ma mère avait été la seule à penser que j’avais un esprit mathématique. Cette fausse route m’avait permis de retrouver les lettres, la poésie et beaucoup de temps pour m’occuper de ma guitare.

La musique folk américaine (les 33 tours de Woody Guthrie, de Pete Seeger, des Brothers Four et du Kingston Trio) et le skiffle anglais par la voix de l’écossais Lonnie Donegan arrivaient à mes oreilles grâce au trait d’union créé par Hugues Aufray. Le son magnifique du jeu précieux des guitares acoustiques et des banjos me taquinait et me donnaient des envies. J’ai lancé un appel dans le lycée et j’ai réuni un petit groupe de cinq musiciens qui va rapidement se réduire à trois, avec Yves de Gaillande et Jean Lardé. Chacun a trouvé vite sa place. Nos différentes personnalités étaient complémentaires. C’était évident.

Je ne sais pas encore que nous esquissions ensemble ce que sera ma vie !

Nous avons vécu une aventure incroyable sans vraiment être conscients de ce qui nous arrivait. Un succès local, puis rapidement régional pour devenir national.

Le seul regret que j’ai de ce temps est que nous n’ayons pu « monter à Paris » tous les trois. Mais la vie est ainsi faite de choix.

Il nous reste malgré tout cette solide amitié et souvent des retrouvailles musicales. J’ai commencé ma vie d’artiste avec eux et je l’ai conclue avec eux par la dernière chanson de mon ultime album.

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